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Marcela Iacub est bien de gauche, et on s'en branle avec Michéa (I)

Publié le par Alexandre Anizy

 

Marcela Iacub est une fille de bourgeois argentins qui ont supporté les saloperies des militaires, qui mena à bien ses études de droit en un temps record, puis qui fuit parents et pays pour à nouveau réussir un parcours ultrarapide dans le milieu de la recherche française (elle est si brillante, n'est-ce pas ?).

 

Dans ces écrits, rien n'arrête cette femme soi-disant libre dont l'esprit iconoclaste impressionne, en bien ou en mal peu importe, puisque l'essentiel est d'atteindre la renommée. Prenons un exemple : la prostitution devrait être un échange marchand licite si les deux parties sont librement consentantes, of course.

 

C'est un fait : Marcela Iacub est une libérale pure et dure. Comme Pierre Bergé qui suit la même logique lorsqu'il parle de la gestation pour autrui (GPA) :

« Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l'usine, quelle différence ? ».

Or chacun sait que Pierre Bergé, qui le clame toujours haut et fort, est de gauche.

Donc Marcela Iacub est bien de gauche.

 

Et on s'en branle avec Michéa. (à suivre)

 

 

Alexandre Anizy

 

 

 

Addendum 31 mars 2013

 

Dans sa chronique hebdomadaire à Libération (samedi 30 mars), vous trouverez une belle démonstration du système iacubien, i.e. de sa méthode. Ce jour-là, elle ne désapprouvait pas le langage ordurier des politiciens, car « cette effervescence devrait être perçue comme un signe du renforcement du régime démocratique ». Mais elle ne manquait pas de donner un gage à la pensée dominante : « Pour moi, le langage emprunté par Jean-Luc Mélenchon à propos du penser en français fait de cet individu un homme politique inacceptable. »

Hé, Marcela ! Nous on sait bien que vous êtes une bonne petite, à défaut d'être une gagneuse.

 


Argent brûlé de l'argentin Ricardo Piglia

Publié le par Alexandre Anizy

 

C'est le bouche à oreille qui nous a conduit à l'écrivain argentin Ricardo Piglia, et non pas le travail mercatique de son éditeur pour son dernier livre sorti en janvier 2013. Pour une raison pratique, nous optâmes pour le livrel de Argent brûlé (Zulma, epub de 2013, à 9,99 €)¹.

 

Piglia raconte sans fioriture le braquage d'un convoyeur dans le Buenos Aires de septembre 1965, la cavale et le Fort Chabrol sanglant à Montevideo, deux mois plus tard. Mais parce qu'il a sérieusement étudié cet épisode du banditisme argentin (rencontres des témoins, accès aux dossiers policiers de l'enquête, lectures des récits de presse, etc.), il nous livre mieux qu'un polar exaltant, car il s'attache à révéler la décomposition des milieux politiques et policiers de son pays.

« Malito, le chef, avait pensé à tout : il avait établi les contacts avec les politiques et les flics qui lui avaient passé les infos, les plans dans les moindres détails avec les noms de ceux à qui on devrait remettre la moitié du paquet. Cela faisait beaucoup de gens sur cette affaire, mais Malito pensait qu'avec dix ou douze heures d'avance, on pourrait tous les planter et filer avec le flouze en Uruguay. »

Funeste choix donc, car la traque sera impitoyable.

 

 

Alexandre Anizy

 

 

(¹) : Piglia met en exergue une citation de Bertolt Brecht, furieusement d'actualité : « Il y a pire que braquer une banque : en fonder une. »

 

 

Sermonner Jérôme Ferrari

Publié le par Alexandre Anizy

 

Nom de Dieu ! Quel ennui ! Le sermon sur la chute de Rome (Actes Sud, 2012, livrel – trop cher... soit dit en passant), comme ceux du curé de campagne de notre jeunesse, a bien failli nous endormir à plusieurs reprises. Pourtant, compte tenu de sa profession d'enseignant, Jérôme Ferrari ne peut pas ignorer que savoir écrire et savoir bâtir ne suffisent pas à l'intellectuel pour devenir romancier.

 

Modeste philosophe sorbonnard, Ferrari a plombé une histoire banale avec un coffrage augustinien dont on peut discuter la pertinence, rendant pénible la lecture puisqu'il consacre son énergie à lier les pans épars de son architectonique au lieu de muscler la psychologie des personnages, comme dirait Aimé Jacquet.

 

L'incipit aurait dû nous alerter de la confusion :

« Comme témoignage des origines – comme témoignage de la fin, il y aurait donc cette photo, prise pendant l'été 1918, que Marcel Antonetti s'est obstiné à regarder en vain toute sa vie pour y déchiffrer l'énigme de l'absence. »

Peut-on comprendre un auteur qui ne ferme pas sa parenthèse ? ¹

 

Ce livre ayant obtenu le prix Goncourt, on s'interroge sur la qualité de ses concurrents, ou sur la nature d'un éventuel deal dans le petit monde de l'édition.

 

 

Alexandre Anizy

 

 

(¹) : dans le Grévisse – le bon usage (12ème édition refondue par André Goosse, mars 1986, 1768 pages), on lit au § 134 :

« Si, à l'endroit où se place la parenthèse encadrée de tirets, la phrase demande une virgule, celle-ci se met, logiquement, après le second tiret : voir ci-dessus l'ex. de Tournier ["Parce que c'était mardi – ainsi le voulait son emploi du temps -, Robinson ce matin-là glanait …"]. Mais [s'] il est assez fréquent que la virgule soit mise avant le second tiret, il est rare qu'elle soit devant le premier tiret ... » (p.187)

 

 

 

La guerre probable selon Vincent Desportes

Publié le par Alexandre Anizy

 

Il y a 37 ans, on avait quitté à Tübingen le jeune lieutenant Vincent Desportes , dont le comportement mimétique à l'égard du capitaine Renon faisait sourire la troupe qui n'attendait que la quille, et comme la chose militaire ne fut et n'est pas un de nos centres d'intérêt, les écrits du général nous avait échappé. Ainsi quelle surprise lorsque nous vîmes sa bobine dans la petite lucarne, soulignée de son nom et de sa fonction à Sciences-Po ! Il s'exprimait en tant qu'expert (compte tenu de sa carrière militaire, le titre n'est pas usurpé) sur la guerre du Mali, ce qu'il fit plus longuement dans une émission de France Culture. Comme ses propos étaient pertinents, nous décidâmes d'aller voir les fondements théoriques qui influencent forcément ses commentaires, dans son livre La guerre probable – penser autrement, Economica, 2ème édition 2008, 216 pages, 18 €).

 

D'abord le constat :

« L'effondrement de l'empire soviétique avait initialement laissé place à l'euphorie de la toute puissance, à la certitude que l'Occident pouvait tout grâce aux ingrédients qui lui avaient conféré le succès. » (p.3)

« Les Balkans et l'incapacité de la force d'y régler aisément les différends auraient pu nous indiquer que quelque chose avait changé. Nous avons cependant longtemps pensé que ces conflits constituaient l'exception, alors qu'ils étaient la règle d'une réalité nouvelle. » (p.3)

 

Il faut penser autrement :

« La maigre performance de nos outils actuels nous impose de comprendre l'évolution des formes de puissance, l'évolution des formes de nuisance, l'évolution des formes de violence. » (p.5),

parce que les faits sont têtus : les États-Unis n'ont pas gagné en Afghanistan et en Irak, Israël a connu l'amère non-victoire contre le Hezbollah en 2006 (pour 600 combattants du Hezbollah tués mais aussitôt remplacés : 120 soldats israéliens perdus, 6 Milliards USD dépensés + 7 Milliards USD de biens libanais détruits + 1.200 morts et 3.700 blessés civils).

La guerre industrielle coûte très chère aux pays riches (en 2008, l'économiste américain Joseph E. Stiglitz a chiffré le coût de la guerre en Irak pour les États-Unis seuls à 3.000 Milliards USD), mais lorsqu'ils sont engagés dans une guerre asymétrique qu'ils subissent, celle-ci

«(...) ne coûte presque rien à l'adversaire parce qu'il sait conserver l'initiative, le choix de l'heure, du lieu et du mode d'action... Il s'est approprié le principe d'économie des forces !» (p.12)

La discontinuité (i.e. frappes sélective ou massive momentanées, occupations temporaires du terrain … puis arrêts et replis) est disqualifiée aussi bien au niveau stratégique que tactique :

« Rien ne sert aujourd'hui d'agir en "va et vient" et d'abandonner sans le contrôler le terrain qui vient d'être conquis : à peine replié, l'adversaire vient reprendre possession et punir les "retournés". La seule manœuvre qui vaille est celle de la continuité, de l’État qui avance et s'établit derrière le glaive, bref la méthode de la tache d'huile telle que depuis longtemps nous l'a enseignée Lyautey. » (p.16)

[Au Mali, il semble que la France ait fait sienne cette doctrine. NdAA]

 

Le XXIe n'échappera pas aux crises et aux conflits, d'autant plus que « la démographie, longtemps mère de toutes les crises et de toutes les guerres, » revient au centre de la question humaine avec son corollaire lancinant : les flux migratoires. La raréfaction des ressources est déjà une préoccupation permanente des gouvernements¹, de même que la répartition inégale des biens alimentaires. D'où il ressort que :

« La sécurité intérieure de la France va continuer à dépendre étroitement de la situation sécuritaires aux marches de l'Europe, tandis que sa position méditerranéenne la rendra sensible aux crises et conflits du Moyen-Orient dont les ramifications s'étendent naturellement sur son territoire. » (p.27) ;

et que :

« L’Europe balkanique, par le biais de la porosité européenne des frontières, doit être considérée comme un proche étranger ; (…) quel que soit l'avenir de cette zone, la France devra être en mesure d'y participer, militairement si nécessaire, à l'établissement d'une stabilité qui est condition de la sienne. » (p.27)

Pour ne pas être défait, il importe de comprendre les expressions nouvelles de la guerre, afin de préparer les bons outils.

« (…) ce dont nous sommes sûrs, c'est que le destin de la citadelle est d'être contournée puis détruite. Donc, la simple défense au plus près est vouée à l'échec. » (p.29)

Ce dont les pensées officielles britannique (DCDC) et française (DAS/EMA) sont également sûres, c'est que la guerre classique ou symétrique (i.e. puissance industrielle contre puissance industrielle) est morte. (sourcées en p.31) Dès 2002, les États-Unis ont replacé la dissuasion nucléaire comme un élément d'une triade de prévention élargie. En conséquence, il y a une autre dissuasion à bâtir : « une force conventionnelle apte à relever les défis de la guerre probable ». (p.32)

 

Cependant, et fondamentalement, il importe de maintenir le niveau technique des matériels de la guerre classique, car c'est la capacité de la faire bien qui en diminuera l'occurrence.²

Il faut donc investir dans les systèmes de forces couvrant les guerres classiques (parce que la probabilité d'un conflit majeur inter-étatique est non nulle, il faut aussi veiller à l'excellence de la recherche et développement et préserver la capacité de remontée en puissance) et les guerres asymétriques.

 

Dans une configuration asymétrique, la puissance destructrice incite fortement à l'évitement qui la rend vaine :

« Plutôt que de rechercher la compétition sur le champ d'affrontement de la haute-vitesse et de la brièveté dominé par les forces occidentales, l'adversaire probable investit les luttes politiques longues et les bras de fer psychologiques ; il planifie sur des décennies et évite notre bataille parce qu'il n'a nul besoin de victoire tactique. » (p.35)

L'adversaire va opter pour des « stratégies de contournement dans les espaces où il peut lutter à armes égales, l'infosphère et l'espace humain où se modèle donc la guerre probable ». (p.36) Et comme l'a dit Clausewitz, s'il n'est pas possible d'amener l'adversaire sur son terrain, il faut aller le chercher sur le sien, si on veut le battre. Pour le général américain Hagee, « le succès dépendra moins de notre capacité à imposer notre volonté que de notre aptitude à modeler les comportements, des amis, des adversaires et, ce qui est plus important, de la population ». (en 2005, cité p.36)

Et Vincent Desportes d'affirmer :

« La guerre de demain – la guerre probable – se livrera au sol, elle sera un combat rapproché car, malgré tous les miracles technologiques, pour vaincre l'homme armé de son seul poignard, il faut bien prendre le sien. » (p.36)

Il faut bien constater que les courts conflits dissymétriques se transforment en conflits asymétriques : au Kosovo, 2 mois de guerre classique pour une décennie de crise larvée ; en Afghanistan, 1 mois de classique … et on y est encore ; en Irak, 3 semaines de classique pour 5 années d'asymétrique.

 

Le contournement est une loi d'airain dans l'art militaire, ce que les 2 colonels chinois Quiao Liang et Wang Xiangsui ont développé à leur manière dans leur livre devenu une référence, titré La guerre hors limite : pour le plus faible dans la sphère militaire, il s'agit de n'y consacrer qu'un effort minimal et par contre de manœuvrer dans d'autres sphères de la guerre (informationnelle, économique, financière, politique, etc.).

« Les prochaines guerres, n'en doutons pas, seront "hors limites". » (p.40)

Il y a bien une approche philosophique différente du conflit, dont Ivan P. Kamenarović a commencé l'étude dans Le conflit – Perceptions chinoise et occidentale (éditions du Cerf, mars 2001, 147 pages, 100 francs).

On peut voir le livre des colonels comme une application de 2 principes de Sun Zi (l'art de la guerre, Economica, mars 1990, 172 pages, 125 francs) :

« C'est pourquoi remporter cent victoires en cent combats n'est pas ce qu'il y a de mieux ; soumettre l'ennemi sans combattre est ce qu'il y a de mieux. » (p.105) ;

« C'est pourquoi une armée victorieuse l'est avant même de chercher le combat ; une armée vaincue engage le combat d'abord, puis cherche la victoire. » (p.109)

 

Parce que le monde ne connaîtra qu'un état de violence permanent, il importe aux pays occidentaux de maintenir la paix en (r)établissant la force et l'autorité des États : autrement dit, changements de régime si nécessaire et reconstructions d’États.

« Dans les 2 cas, l'essentiel ne sera pas la planification de la guerre mais la question du nouvel ordre à établir, de l'état final à instaurer ; et c'est vers eux que devront converger les lignes d'action, l'action militaire n'en étant qu'une parmi d'autres. Cette action comportera plusieurs phases, dont celle que les armées américaines appellent à tort la Phase IV, celle des "opérations de stabilité et de soutien", parce qu'elle commence avant même les opérations et qu'elle est véritablement au cœur de la réussite de l'intervention. (…) La dernière victoire qui compte, celle de la stabilité du gouvernement. » (p.41)

[C'est à cet aulne qu'il faudra juger de la guerre du Mali. NdAA]

Dans ce cadre, le modèle trinitaire de la guerre est pertinent : il convient de résoudre des équations « avec les 3 variables clausewitziennes de l’État, de la population et de l'armée, et leurs 3 dimensions associées de la rationalité, de l'irrationalité et de la contingence ». (p.42)

Il faut aussi aux pays occidentaux, puisque la guerre probable est hors limites (l'ennemi pouvant être dé-territorialisé), avoir « la disponibilité de soldats formés pour une défense grise et des crises mélangeant le malveillant et l'accidentel ». (p.43)

 

Quel sera le nouvel adversaire ?

« (…) à l'ennemi articulé en grands ensembles a succédé un ennemi éclaté en petites cellules qui marque d'incapacité bien des déclinaisons de la puissance. Dès lors que l'adversaire adopte la forme réticulaire et ne présente plus aux frappes de précision ses centres de gravité qui sont traditionnellement la cible, il peut produire de la violence dans des conditions d'impunité accrue. » (p.45)

La guerre probable sera irrégulière, et l'adversaire appliquera les 2 règles de survie : l'adaptation permanente et la surprise. Vincent Desportes revient alors sur la mésaventure israélienne de 2006 :

« (…) Tsahal a été surprise en juillet 2006 par une guérilla qui s'était préparée et entraînée contre cette manœuvre, l'a rendue vaine par une succession de coups d'arrêt et d'esquives, par une multitude d'actions "en essaim", bref par une néo-non-bataille³. Volant l'initiative à l'armée qui en est l'emblème, le Hezbollah a réussi à la conserver, tant au plan stratégique que tactique, et à maintenir l’État d'Israël et ses forces dans une permanente posture réactive ! » (p.47)

Le Hezbollah n'avait pas de boucle décisionnelle et de ce fait bloquait dans Tsahal le fonctionnement du principe de l'OODA (action selon le cycle Observation – Orientation – Décision – Action), qui structure les forces occidentales.

« En l'absence de système ennemi clair, de nœuds ou de centres de gravité véritablement identifiables, la manœuvre de haute technologie ne peut pas provoquer de choc systémique. » (p.49)

Par principe, l'adversaire ne respectera pas les règles, et dans cette guerre probable, il est possible que la victoire politique advienne sans victoire militaire décisive.

 

 

La guerre probable se fait dans les sociétés, et non pas entre les sociétés. « Les zones contestées seront les espaces contestables des zones grises, ces espaces de non-droit (...) » (p.58) et évidemment « on ne maîtrise pas une insurrection avec les méthodes et les armes que l'on employait pour détruire une colonne de blindés soviétiques (...) » (p.59)

« Si la guerre probable commencera souvent à distance depuis la mer ou les airs, elle se terminera toujours sur terre, dans la durée, avec une imbrication au sein des populations et une confrontation directe avec les parties adverses. C'est au sol, physiquement, au contact des protagonistes, par une présence durable, que l'action engagée portera ses fruits. » (p.61)

« Désormais, sauf exception, les combats sont urbains (...) » (p.64)

Du point de vue strictement militaire, cette idée excessive doit être rejetée parce qu'en 2013 les faits la contredisent : Afghanistan, Mali. Mais Vincent Desportes voulant en arriver à la guerre en ville et à ses caractéristiques, on conviendra qu'il a péché par maladresse rédactionnelle.

En ville, l'univers étant davantage civil et émotionnel, il oblige à une approche globale, notamment avec les humanitaires, parce que sous les feux des médias la guerre y devient vraiment spectaculaire. Le militaire doit lutter contre « l'inhibition, mère de l'inefficacité opérationnelle et premier résultat de la conjugaison de la médiatisation des conflits et de l'extension du juridisme à la sphère des opérations. » (p.65) C'est la 1ère idée.

La 2ème idée est qu'en ville « le soldat asymétrique pourra le mieux, sous le regard permanent des médias, jouer sa stratégie de provocation et de propagande par les bavures collatérales de son adversaire. » (p.66)

La 3ème idée est qu'en ville il faut traiter les problèmes essentiellement humains : « La cible de l'action n'est plus l'adversaire, mais la population. Il s'agit, au cœur des villes, de gagner le combat de l'adhésion tout en construisant le "contrat social". » (p.66)

La 4ème idée découle de la 3ème : les moyens de l'efficacité militaire doivent évoluer, puisque « le tactique y reprend le pas sur l'opératif, le décentralisé domine le centralisé, (…) l'action individuelle compte finalement presque autant que la décision d'état-major et parle plus fort que le message stratégique ».

La 5ème idée est celle de l'élargissement du métier militaire : « La ville est aujourd'hui le lieu paradigmatique de la dualité du rôle social et guerrier du militaire. » (p.67) Les soldats-managers doivent aussi apprendre la gestion de la cité, en liaison avec les policiers, les humanitaires, les administratifs, les politiques, etc.

 

 

Vincent Desportes propose un nouveau continuum pour le déroulement des conflits : l'intervention, la stabilisation, la normalisation. Ces phases sans limites temporelles, qui se superposent partiellement, se caractérisent plus par l'effet recherché que par les moyens employés.

« L'évolution du contexte des crises, les guerres probables, imposent de savoir mieux passer du militaire au sécuritaire, de l'urgence humanitaire aux politiques de reconstruction et de développement. » (p.78)

 

 

Des expériences récentes, Vincent Desportes dégage 2 principes majeurs pour l'efficacité militaire : modestie et adéquation. Concernant la modestie, il remarque qu'il vaut mieux adapter des institutions plutôt que de vouloir les changer (prise en compte des différences culturelles et politiques) :

« La démocratie doit être conçue comme un éventuel moyen et non comme une fin. » (p.84)

Concernant l'adéquation, l'expérience montre d'une part que

« en-deçà d'un ratio inférieur à 15 ou 20 contre 1, une force de contre-insurrection n'a pratiquement aucune chance de l'emporter ». (p.84),

ce qu'il faut compléter par :

« si la force contre-insurrectionnelle respecte la proportion de 20 soldats ou policiers pour 1.000 habitants » (p.98),

et d'autre part que, pour avoir la cohérence entre les buts, les voies et les moyens, la primauté du politique et l'unicité de l'objectif s'imposent, car il faut bâtir une approche globale pour être crédible dans l'infosphère, lieu de bataille préférée du faible contre le puissant :

« Ainsi, portant sur la sensibilité et la versatilité des opinions publiques, la communication – courtier du marché de la pitié – est devenue le terrain de la victoire ou de la défaite. (…) Nous n'avons pas d'autres choix que de contrer l'adversaire sur ce même espace : notre manœuvre essentielle devient, par obligation, celle de la communication. » (p.102)

Vincent Desportes précise plus loin :

« Cette prééminence de la communication veut dire aussi que les armées modernes doivent être conçues dans cet esprit et dotées de moyens techniques capables de délivrer de bons messages – d'où le rôle de la précision des armements par exemple – et de participer dans la durée – cette fois-ci avec des moyens dédiés – à cette manœuvre de communication:elles sont en effet condamnées à demeurer sur le terrain bien après que les armes lourdes se soient tues. » (p.143)

Dans la guerre probable, l'armée envahit tous les champs, de la traque de l'ennemi œuvrant à l'intérieur comme à l'extérieur à celui de la propagande (the battle for your mind). Et Vincent Desportes de citer le général Galliéni :

« satisfaire les besoins des populations pour les attacher par la persuasion aux institutions nouvelles » (p.146)

 

 

 

Dans les circonstances actuelles, lire le livre de Vincent Desportes permet aux citoyens de comprendre la guerre probable que la France mène quasiment seule au Mali (facilitant la séparation du bon grain de l'ivraie dans la communication officielle). La chose est d'autant plus facile que l'auteur a soigné le style.

Mais pour nous, une question se pose toujours 37 ans après, puisque Vincent Desportes utilisent abondamment le vieux concept d'Occident,

« notion chérie de la culture ultra-conservatrice (Oswald Spengler [philosophe allemand de la Révolution conservatrice, ndAA], Henri Massis, Maurice Bardèche [2 intellectuels français ayant soutenu la Collaboration, ndAA], les nervis d'Occident [nom d'un groupuscule d'extrême droite dont firent partie les délinquants Patrick Devedjian et Alain Madelin condamnés en correctionnelle en 1965, ndAA]), qui ne figurent pas, d'ailleurs, dans le traité de l'Atlantique Nord de 1949, qui n'apparaît presque jamais sous la plume de de Gaulle et que je ne me souviens pas avoir entendue dans la bouche de Mitterrand ? » (Régis Debray, in Monde Diplomatique de mars 2013 : la France doit quitter l'OTAN).

Vincent Desportes croit-il à la famille occidentale, cette « vieille mystification qu'on croyait réservée à la "grande famille des États socialistes" » (Régis Debray, idem) ?

 

 

 

 

Alexandre Anizy

 

 

 

(¹) : par exemple, et pour ceux qui en doutaient encore, les historiens peuvent aujourd'hui affirmer que la guerre d'Irak (2003) visait à s'emparer du pétrole, grâce aux documents récemment déclassifiés. Jean-Pierre Séréni in Monde Diplomatique de mars 2013.

(²) : on retrouve là le raisonnement qui prévalait pour la guerre nucléaire.

(3) : la bibliographie de V. Desportes étant excellente, il ne pouvait pas ne pas citer l'essai sur la non-bataille de Guy Brossollet (Belin, 4ème trimestre 1975, 128 pages, 28 francs), dans lequel l'auteur mettait en procès « le corps de bataille, élément spécifique de notre Défense Nationale », et proposait un système modulaire … mais il précisait déjà que face à « un conflit marginal ou une agression limitée visant, soit la conquête d'un gage territorial, soit un effet de désorganisation par des actions de commandos, soit encore un simple test de notre volonté et de notre capacité de réaction », « l'inaptitude des 2 systèmes [le corps de bataille et le système modulaire. NdAA] à régler des crises mineures souligne la nécessité de posséder, par ailleurs, des forces relativement puissantes et très mobiles, capables d'intervenir immédiatement pour des opérations limitées, en un point quelconque du théâtre national ou européen. » (p.98)

() : l'adjectif "soviétique" n'étant pas utile au propos, et parce que nous avons connu le jeune lieutenant Desportes, on se demande s'il a vraiment changé son logiciel idéologique, lui, i.e. tenté de penser autrement, comme il le recommande dans ce livre.